mardi 15 mars 2011

Archétype pluvieux


Les examens sont finis. Il pleut. Gris.

C'est pour ce genre de situation, que nous avons inventé le Cinéma, et qu'il existe encore des cinémathèques. Rien de mieux qu'un vieux film, à la pellicule usée, au propos dépassé. Un film de gangster, la Rolls Royce du film de gangster. Scarface, l'original, pas la grosse machine de Brian Palmier, mais l'antique d'Howard Aigle.

Nous nous asseyons, un peu humide, au premier rang, pour être au cœur des fusillades. Un nombre paire de fauteuil. Ça tombe bien, nous sommes deux. Le rideaux rouge s'écarte. L'écran devient noir et blanc. Ça commence par un discours, directement adressé au gouvernement, au citoyen. Qui pose la corruption comme un fait. De nos jours, on ne voit plus, ce genre de préface explicitement indignée. La première image est un lampadaire allumé. Un beau lampadaire, de ceux nous aimerions tous avoir dans notre chambre. Un long plan, trois bourgeois qui boivent, une ombre sur le mur, un coup de revolver. PouF. Un cadavre de gangster. Tout comme il faut, tout comme ca se passe dans notre imaginaire déjà conditionné par les visions antérieures d'œuvres postérieures. Il y a les unes de journaux, les conciliabule chez le barbier, et autre topos des guerres de gangs. La pègre trafique des futs de bière. Ça semble dérisoire, par rapport aux drogues armes ou humains. Alors on reste confortablement assis sur nos fauteuils moelleux, sans se sentir en danger. L'image sautille, grésille. Certaine seconde disparaissent, mais on les reconstitue aisément. C'est tout en image mouvement, chaque scène apporte son lot d'information à l'intrigue. Le personnage éponyme est drôle, il clin d'œil dans tous les sens, blague sans discontinuer, à l'aide de mimiques gaillardes. Un mafioso assez attachant. La star féminine fait bientot son apparition. On devine son sex-appeal, bien que les canons modernes ne s'y conforme pas. Ça semble se dérouler dans un autre monde, un vieux monde. Qui parait plus simple, moins désordonné. Une impression de lointain se dégage. Ainsi, malgré les morts, les rafales de mitraillettes, nous ne nous sentons pas tourmentés, agressés. Tranquillement, à observe l'ascension du héros, à prédire sa chute.

La projectionniste rencontre quelque problèmes. La lumière se rallume, le temps qu'il lui faut pour trouver la juste bobine. Magie du charme désuet.

A l'époque, cette succession de mouches qui tombent a fait jaser la censure. Pour nous, habitué à la violence de la météo du matin au loto du soir, l'hécatombe parait anodine. Mais il n'y a pas de lance-roquette camembert, d'énorme mitraillette à faire de l'emmental à la chaine. Le slogan légendaire n'est pas gravé en lettre d'or sur la fontaine, c'est une simple réclame qui clignote sur le toit de l'immeuble d'en face. C'est plus léger. Moins d'artifices. Ça nous suffit. L'idole finit même par se ridiculiser dans les jupons du policiers, cassant son image d'invincible bourreau n'ayant peur de rien. Il n'y a pas cette volonté de tout rendre grandiose, ou plutôt, le décalage temporel en atténue l'effet. Les policiers, d'ailleurs, se plaignent des journalistes qui héroïsent les malfrats qu'eux essayent de condamner. Nous, nous ne condamnons rien du tout. Nous appécions le spectacle.



A la sortie, il pleut encore plus. Ce n'est pas grave, juste de l'eau. Un vieux trucs qu'on voit depuis longtemps, dont l'effet est relativement inoffensif, comparé aux averses radioactives, par exemple. Et puis, nous sommes rechargés, prêt à partir à la conquête des rues, du nord, du sud, de toute la ville. Le monde est à vous, comme dirait l'autre...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire